Là la mer septentrionale, argent vif et brillant
Ici entre tes murs
A l’abri de tout vent hors de mesure
Je frémis avec toi, mouchoir de terre sœur.
Ghetto. Quel vilain nom on t’a donné.
D’une ignoble honte universelle on a baptisé
Et marqué ton corps droit pour le disperser comme des grains de sable
Dans un désert de l’âme. Quelle rage.
Mouchoir de terre étrangère, moi forêt je te couronne de vie.
Tu trembles de mémoire et moi je te tiens bras dessus bras dessous, toi sans patrie.
De nos quatre jambes nous marchons dans les rues aux noms pleins de charme
La rue du Pain, des Recteurs, du Pont,
Plus loin encore la rue du Mont.
Mélancolique je suis le rappel de tes cimes
N’oubliant pas la sombre violence qui t’a usée, la solution finale.
Elle a arraché tes portes, mis à sac tes lieux sacrés,
Rendu ton peuple apatride et errant.
Une histoire trop pesante.
Tu brûles de fièvre et avec toi je frissonne
En cet hiver gravé sur cette silencieuse cloche d’argent.
Si tu dois hurler, fais-le.
Je t’écoute, mouchoir de terre amie. Je te couronne de vie.
Je suis le rappel d’un serpent de plastique avec dedans de petites lampes,
Un banal objet oublié par Sylvestre ou précurseur du Carnaval
Qui s’enroule aux angles des maisons aux tuiles molles et les fait vibrer
Et qui tel un cordon ombilical
M’unit à toi.
Je me demande ; comment t’en sors-tu entre les livres antiques et les buffets décrépis
Avec en ligne les coupes dépareillées de verre fin,
Comment t’en sors-tu toi si distinguée
Avec cette histoire incroyable livrée sur les fauteuils en dentelles qui sentent le moisi ?
Que dis-tu quand tu avertis la grasse présence de l’escroquerie ?
Dans les rue du bourg Février règne et lave la pierre.
La lune se dresse de cire sur la mer noire qui crache la bave.
Sous l’enseigne de fonte
Les lanternes rouges clignotent en annonçant des rouleaux de printemps parfumés.
Dans la nuit, des éclats de salves de riz s’éparpillent.
Nous deux, mouchoir de terre,
Créatures de la même mère chimère sourions sous nos moustaches ;
Nous avons envie de vin, de fête,
Car moi la forêt
Je me reflète dans ton visage ma sœur et je te couronne de vie.
Melita Richter est née à Zagreb, Croatie, Yougoslavie. Diplômée en sociologie à l’université de Zagreb, Faculté de Philosophie, master en Urbanistique dans la même faculté, elle a collaboré à des revues spécialisées et culturelles dans sa patrie, en Italie et à l’étranger. Elle vit depuis 1980 à Trieste où elle travaille comme sociologue, traductrice, essayiste, médiatrice culturelle. Auteur de différentes recherches dans le domaine de la sociologie, elle participe activement au débat international sur la question balkanique, sur l’intégration européenne et sur la position de la femme dans la société contemporaine. Elle est co-auteur du livre Conflittualità balcanica, integrazione europea (Editre 1993), elle a soigné l’édition du livre l’Altra Serbia, gli intellettuali e la guerra (Selene 1996) et avec Maria Bacchi Le guerre cominciano a primavera. Soggetti e genere nel conflitto jugoslavo (Rubbettino 2003). Auteur de poésie, c’est la gagnante du premier prix national de poésie « Belmoro » (Reggio Calabria 2003) et du troisième prix au concours « Une poésie pour le ghetto » (Trieste 2002).